MARK LANEGAN
Alhambra, Paris, 7 mars 2015 par Da Syl
Pourtant, à regarder le public amassé dans un Alhambra à guichets fermés, il semblerait que la plupart des personnes présentes ait l'opportunité de le voir tous les jours dans leur salon car ce ne sont que visages fermés, regards blasés et postures savamment dégagées. Il faudrait un Flaubert du XXIe siècle pour en montrer le précieux ridicule. Après une première partie assurée à un horaire parisien, c'est-à-dire deux heures trop tôt, par l'ami Duke Garwood, poliment suivie par une assistance apathique (mais que la technologie permet de voir depuis l'étage où se trouve le bien nommé Alhambar, nettement plus vivant), le grand Mark débarque un peu avant neuf heures, dans une formation minimale puisqu'il n'est qu'accompagné de son guitariste Jeff Fielder. Quelques arpèges et la Voix survient, magistrale, profonde et légère à la fois, troublante et réconfortante, comme si elle venait du fond des âges mais semblait neuve à chaque fois. "When your number isn't up", "Low" et "Morning glory wine" sont délivrées dans cette formule épurée qui parle directement à l'âme. Les amateurs de rock festif peuvent passer leur chemin, la messe noire qui sera célébrée ce soir ne prête point à la poilade ou à la distraction. Le ténébreux officiant est immobile, à son habitude, tel une sphynge derrière son micro. Après ces trois intenses morceaux inauguraux, les musiciens sont rejoints par une formule plus attendue : basse, batterie et claviers (plus toutes sortes d'effets électroniques). Manière de constater qu'il n'y a pas tromperie
sur la marchandise car voici que se dévide une bande-son exclusivement
estampillée "Mark Lanegan Band", clairement centrée
sur les trois dernières productions du groupe, les albums Blues
Funeral (2012) et Phantom Radio (2014), plus l'E.P. No
Bells on Sunday dont le morceau-titre est le premier servi
par le groupe maintenant à cinq. La discographie ira puiser quelques
morceaux dans le Bubblegum de 2004 et s'offrira une incartade
dans le Field Songs de 2001, le temps d'un "One way
street" funèbre et chargé d'émotion, mais
le parti pris musical valide bel et bien la démarche actuelle du
crooner de Seattle, soit l'introduction récente d'éléments
électroniques avec l'aide du touche-à-tout Alain Johannes,
parti pris dont les résultats sur disque pouvaient parfois peiner
à convaincre mais qui révèlent leur douce noirceur
sur scène. Cet habillage numérique propose en effet un nouvel
élan à une musique qui n'est pas que funeste mais qui comporte
une puissance rythmique qui en accroît l'effet, comme l'indique
l'un des titres de Blues Funeral, "Ode to sad disco".
En définitive, sad disco, peut-être un genre inventé
par Lanegan, et dont le point culminant du concert, la grandiose "Gray
goes black", permet d'illustrer le principe : une musique
élégiaque, sur le fil du rasoir entre la dimension charnelle
de la voix de Lanegan et des sons désincarnés, qui pousse
à danser sur des paroles sinistres, comme pour mieux oublier notre
état de mortel : "Days go by, remember that...". Les admirateurs se pressent au merchandising sous l'œil peu amène des agents de sécurité qui font plus que jamais tache dans le décor et l'on rembobine le film de la soirée, avec pour seul regret l'absence de titres majeurs mais lointains du répertoire, ceux de Whiskey for the Holy Ghost ou Scraps at Midnight, qui auraient cependant sonné trop décalés dans un ensemble très cohérent à défaut d'être marquant mélodiquement. Reste toutefois la force cathartique d'une musique portée par une voix sans égale et qui résonne comme un doux memento mori dans la nuit parisienne maintenant livrée aux excès : "Days go by, please don't forget..." FunkyRate :MARK LANEGAN, Alhambra, Paris, 7 mars 2015 |