Les
cinémathèques demeurent dans l'esprit du plus grand nombre
comme des repaires de cinéphiles endurcis ou incurables, s'abreuvant
d'œuvres inabordables mais ô combien incontournables.
L'approximation est malheureusement souvent vérifiée,
et les directeurs de salles d'art et d'essais désespèrent
de voir les spectateurs affluer en rangs serrés.
La cinémathèque de Toulouse, récemment déménagée
dans de nouveau locaux s'efforce, avec succès, de s'attirer un
large public de cinéphiles de tout poil, lorgnant vers le public
des vidéoclubs.
Ce
musée, qui se range juste après la Cinémathèque
de France par ordre d'importance a su s'ouvrir à tout une gamme
de films jusqu'ici peu reconnus par les censeurs du septième
Art.
Dès 1994, bien avant sa réouverture, la cinémathèque
proposait déjà une programmation "Faubourgs du Cinéma"
tous les samedi soirs.
L'équipe des faubourgs, collection de mangeurs de VHS, rats de
salles obscures, concocte une programmation de perles de série
Z, œuvres obscures et autres sommets d'un septième art qui s'égare
pour mieux surprendre et ravir. C'est dans ce cadre là qu'auront
lieu les premières tentatives de rapprochement entre cinéma
et musique. Ainsi virent le jour les Ciné Concerts.
La première expérience associait déjà la
Cinémathèque à deux acteurs de l'agitation culturelle
toulousaine; à savoir Radio FMR et bar 'Le Classico'. FMR, née
avec la libéralisation de la FM dans un contexte de radio pirate
et de punks s'est ouverte à une foule de DJs qui occupent les
nuits toulousaines sur 89.1 Mhz mais également les repaires techno
de la ville tels Le Classico Café (lieu de soirées
hebdomadaires le mercredi, 'Massage auditif', co-organisées
par FMR).
Cette événement devait proposer un set de DJs de radio
FMR, les électrons libres, concluant la projection de
'Vampyros Lesbos' (1970) de l'espagnol Jesús Franco. La
soirée, initialement censée se dérouler dans les
locaux de la cinémathèques, du émigrer vers Le
Classico suite à certaines difficultés des organisateurs
à imposer une soirée techno dans une musée national...
Les électrons libres sont doctor livingstone et
discoïde, spécialistes toulousains du mix à
quatre mains et sur quatre platines, dans des ambiances tant électroniques,
break-beat, électro, drum'n'bass… que contemporaines.
Ce coup d'essai fut un net succès puisque le public de la séance
accepta sans broncher de quitter les lieux puis de marcher jusqu'au
Classico. Dès lors, tous les acteurs étaient réunis
pour former la distribution des ciné concerts; le catalyseur
fut une réflexion de discoïde exprimant à
la fin de la soirée son désir de se voir jouer devant
un public assis.
Ainsi,
en décembre dernier le public toulousain, mais également
bordelais et rennais, put apprécier une projection de 'Point
ne tueras' de Maurice Elvey (1929) accompagnée par les électrons
libres armés de leurs quatre platines. Œuvre d'anticipation préfigurant
avec trois décennies d'avance l'équilibre des blocs est-ouest,
'Point ne tueras' demeure d'une incontestable modernité dans
son discours tant que son esthétique, proche de celles de Terry
Gilliam ou Carro et Jeunet.
Tels les pianistes du temps du muet, les deux DJs se retrouvèrent
au bas de l'écran les mains caressant leurs instruments; les
disques et les faders remplaçant les touches noires et blanches.
Bénéficiant
des progrès de la technologie, les électrons ont exécuté
un set longuement répété sur vidéo, mais
laissant toutefois place à l'improvisation comme l'ont prouvé
les multiples éditions du ciné concert. Les différentes
projections ont témoigné des progrès des deux DJs
date après date, maîtrisant et s'appropriant peu à
peu les réactions du public.
La sélection des électrons visitant warp, rephlex,
ninja tune comme la musique contemporaine construit des ambiances
communiant avec le futurisme de la vision de Maurice Elvey et impose
au passage la viabilité des musiques électroniques hors
des dance-floors, comme musique d'écoute à part entière,
concrétisation du rêve de discoïde.
Extrême
Cinéma
Le
récent festival 'Extrême Cinéma' (3 - 22 avril dernier)
s'inscrit donc dans le prolongement de ces expériences, comme
le fruit du succès des Faubourgs. Pendant plus de deux semaines,
les Faubourgs envahissent l'intégralité de la programmation
de la Cinémathèque. Cette reconnaissance est l'occasion
de reprendre des films déjà projetés dans ce cadre
et de proposer des parallèles entre plusieurs œuvres, ce qui
était impossible au rythme des seules soirées hebdomadaires.
La
programmation retenue reflète ces aspects.
Les 'Bizarreries' constituent une collection d'œuvres dont la
singularité demeure le seul dénominateur commun. Nombreux
de ces films avaient déjà fait l'objet de soirées
des Faubourgs.
'Mondo Réel' rassemble une série de pièces
entre documentaire et fiction, documentaires orchestrés et fictions
vérité dans la tradition des Mondo movies des années
soixante, suggérant une indispensable réflexion à
lheure des conflits télédiffusés.
Le festival offrait également la dernière occasion au
public toulousain de profiter des œuvre de science fiction de Paul
Verhoeven projetées en salle en version originale.
Enfin, l'événement était placé sous la protection
du cinéaste le plus extrême de l'histoire, Ed Wood
avec la reprise de plusieurs de ses films.
Mondo réel
Au
temps de la télévision reine, mère nourricière
d'un public accro à l'image, les films de la sélection
Mondo Réel rappellent que la fiction commence dès lors
que tourne la caméra et défile la pellicule. Par la reconstitution
de toutes pièces d'événements historiques ou par
l'anticipation, ces films ouvrent les yeux de leur public sur des réalités
passées ou futures. Cinéma de francs tireurs souvent poursuivis
par la censure qui dénoncent à grand renfort de mise en
scène de sordides vérités. Ainsi devant 'La
sorcellerie à travers les ages' (Benjamin Christensen, 1922)
présentant des ecclésiastiques bien plus inquiétants
que ses sympathiques sorcières, on s'étonne pas des réactions
outrées des ligues de vertu des années 20 à la
sortie du film.
Outre 'La sorcellerie à travers les âges' la programmation
offrait :
'Terre sans pain' de Bunnuel (1932). Film consacré à
une région espagnole particulièrement éprouvé
par la famine et sécheresse.
Deux films de Jacopetti et Prosperi, spécialistes italiens des
"chocumentaires": 'Mondo Cane 2', 'Les Négriers'.
Le premier titré en italien "Monde de Chien" et sous titré
en français "l'incroyable vérité" explore la planète,
visitant cannibalisme, trafic d'enfants… Le second aborde le thème
de l'esclavage dans toute son horreur.
Deux films de Peter Watkins, auteur anglais père de la formule
"Et si la télévision avait été présente".
'La bataille de Culloden' retrace dans un pur style CNN le massacre
final de la rébellion écossaise du 18ème. 'Punishment
park', est un pavé dans la mare de l'Amérique qui
s'enlise dans le bourbier Vietnamien soulevant une contestation grandissante.
Ce film encore interdit aux USA imagine un système carcéral
où les opposants peuvent choisir entre enfermement longue durée
et séjour dans le Punishment Park. Ironie de l'histoire, trente
années plus tard la réalité rattrape la fiction
avec la création outre atlantique de séjours carcéraux
intensifs.
'Les derniers cris de la savane' d'Antonio Climati et Marrio
Morra, reportage bidon d'un bout à l'autre, mêlant les
râles de fauves à ceux des corps suants dans l'étreinte.
'Exhibition 2', du français Jean-François Davy
offre des confessions de la star du X Sylvia Bourdon glissant vers des
scènes sado-masochistes.
'Mondo Erotica', Alfredo Ratti (1973), sommet italien où
le soucis d'anthologie érotique offre un prétexte à
un flot de pornographie.
Et enfin, l'incontournable 'Vérité et mensonges'
dont Orson Welles s'excuse en ces termes citant Picasso : "L'art
est un mensonge, un mensonge qui nous fait comprendre la vérité."
Verhoeven
Le
cinéma de Verhoeven traduit une passion prononcée pour
une science fiction classique d'un Philip K. Dick, où le réel
et le rêve s'entrelacent à loisir.
Cette anticipation hyperréaliste, de la part du cinéaste
Hollandais le rapproche des considérations évoquées
avec Mondo réel. Aucun autre réalisateur de science
fiction n'aura autant subi le poids de la censure, tant ses projections
sont émaillés de références à notre
présent dans tout ce qu'il a de répugnant; thème
banni du cinéma d'entertainment hollywoodien. Les trois films
proposés, 'Total Recall', 'Robocop' et 'Starship
Troopers' dressent le tableau d'une Amérique rongée
par ses ambitions de toute puissance.
Extrême Cinéma représentait la dernière occasion
pour le public toulousain de profiter d'une projection en salle pour
ces trois films.
Ed Wood
Grand
maître ès loufoque, avec mention spéciale pour les
effets spéciaux manqués, Ed Wood était l'incontournable
dont le festival ne pouvait faire l'économie. Fables documentaires
visionnaires, folies martiennes… les films d'Edward Wood Junior pourraient
s'inscrire parfaitement dans les perspectives Mondo réel
et Bizarreries.
Pour preuve, quatre films du maître : 'Plan 9 from outer space'
film posthume de Bela Lugosi construit autour de quelques mètres
de stock shots de l'acteur.
'Glen or Glenda' œuvre semi-autobiographique sur le mode documentaire,
consacré aux travestis et transsexuels.
'Bride of the monster' archétype de la série Z
des années 50, science-fiction mêlée de délires
fantastique inspirés par l'ère atomique.
A cette sélection s'ajoutent deux films nés des mêmes
détours créatifs - 'Le sadique aux dents rouges'
de Jean Louis Van Belle (1970) et 'Hara-kiri' de Raymond Cannon
(1947) - ainsi que le protrait d'Ed Wood signé Tim Burton.
(Pour plus d'infos sur Ed Wood cf Cyber Zone #1)
Bizarreries
La
Galerie d'honneur de plusieurs saisons de faubourgs du cinéma,
une légion de sommets dans le jamais vu, l'impensable. Des œuvres
improbables venant de pays et de cultures différentes, accroissant
ainsi leur extrémité pour les yeux et l'appréciation
d'un public français.
En vrac, films de sabre, savane série B, fesse japonaise… autant
d'incontournables insoupçonnés.
Ciné
concert
La
soirée d'ouverture du festival entamait le thème 'Mondo
Réel' avec 'Häxan' ou 'La sorcellerie à
travers les ages' de Benjamin Christensen (1923) accompagné
cette fois par trois musiciens. La formation musicale, constituée
au hasard des rencontres lors d'une pré-projection du film à
un pool de musiciens, comprenait deux platines, un sampler et un synthétiseur
analogique. Aussi le vocabulaire musical à la disposition de
Bambi, Dr Strange et Léon se trouvaient
plus large que celui des électrons libres. Ce large
spectre de sonorités n'allait pas sans un surcroît de difficultés
à marier les instruments, et au delà, les jeux de trois
personnalités.
Le
set accompagnant 'Häxan' refléte le partage des fréquences
entre les trois musiciens; les basses étant livrées à
la responsabilité de Léon, DJ, dont les rythmes très
marqués Hip hop et Drum and bass sont amputés de leur
aigus.
Ainsi se détachent au premier plan les sons samplés et
ceux produits par le synthétiseur analogique. L'ensemble reconstituant
avec la technologie de notre temps le travail des pianistes de cinémas
du début du siècle dont la main gauche plaquait une rythmique
dans les basses, et la gauche des mélodies plus circonstancielles,
collant à l'action.
Le résultat fut un set beaucoup moins abstrait que celui des
électrons sur 'Point ne tueras', sombrant parfois dans
l'écueil des tentatives de bruitage trop démonstratives
voire caricaturales.
Pierre
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