Une
autre bonne surprise en provenance de New York ! C’est l’impression
qui domine le deuxième concert français que donnait Interpol début novembre
à la Boule Noire, dans le cadre de la partie peu médiatisée du festival
Inrocks, le Off. La salle était comble, remplie grâce au bouche à oreille
de leur prestation prometteuse à la Route du Rock 01 et de leurs deux
EP difficilement trouvables pour cause d’édition limitée (fukd ID #3
sur Chemikal Underground) pour le premier et d’autodistribution pour
le deuxième. A l’heure du concert, Interpol n’était pas encore signé.
INTERPOL
- Paul
Venons
en aux faits : un concert impressionnant qui s’est déroulé sous
des yeux écarquillés d’admiration naissante. La Boule Noire est un nom
qui colle particulièrement bien à l’atmosphère d’Interpol : intense,
sombre et un peu mystérieuse. Le groupe possède une présence forte,
étrange en partie due à l’allure de corbeau imperturbable du bassiste
aux cheveux sculptés. D’ailleurs ils sont tous lookés jusqu’au bout
de leurs ongles laqués, tendance classe, costard avec les accessoires
qui tuent comme la petite chaîne fermant le gilet, chemise cravate,
de façon concertée plutôt gris et noir. Ils se présentent bien mais
ne font pas pour autant les malins, effacés derrière leur musique tout
en tension maîtrisée par des lignes répétitives de guitare. Les morceaux
échappent brillamment à l’étouffant carcan couplet-refrain. Ils sont
dominés par une mélodie que les guitares délaissent de temps à autre
avant de lui revenir en y ajoutant leurs trouvailles. Et puis il y a
ce rythme qui accélère, nous entraîne jusqu’à des sommets puis se calme
soudainement, avant de reprendre de plus bel.
INTERPOL
- Carlos
Le public
adore, certains semblent connaître une partie des titres. Paul, au centre
de la scène, chante très bas, une voix souterraine et détachée, non
sans rappeler Ian Curtis, qui se fait menaçante, mélancolique,
envoûtante. Les yeux fermés, on le croirait perdu dans de sombres méditations,
récitant des incantations de magie noire. Alors qu’on ignore le contenu
des paroles. Cette voix joue beaucoup dans le côté très captivant des
chansons, sa froideur en contraste total avec le son enveloppant et
le rythme pas du tout monotone.
On frise
l’hystérie dans le public, le groupe revient une fois sur scène, puis
une deuxième. Visiblement ils ne s’attendaient pas à autant de ferveur,
car après un morceau joué pour le second rappel, panique sur scène,
Daniel pose sa guitare alors que Paul semble bien décidé à satisfaire
un public qui en redemande. Génial. Alors c’est reparti pour une nouvelle
chanson qui sera la dernière, il faut savoir s’arrêter.
INTERPOL - Paul
Pour
en savoir plus…
Interview
On vous en aurait bien dit un peu plus sur Interpol, mais les mieux
placés pour le faire sont encore les intéressés. Alors Sam (batterie)
et Daniel (guitare), qui passe du français à l’anglais avec un naturel
déconcertant, nous racontent absolument tout. Où il est question de
l’origine du groupe, Led Zepplin, le Bowery Ballroom (very veyr very
pretty), The Delgados et Chemikal Underground, le pur rock’n roll…
SDEP :
Dites nous tout, comment a commencé Interpol ?
Daniel : Notre premier concert s’est déroulé il y trois ans
et demi, ça fait donc un petit bout de temps que l’on joue ensemble.
On s’est rencontré à la fac à New York. J’ai voulu former un groupe
mais c’est très difficile de trouver des musiciens à New York. J’ai
commencé à jouer avec un copain batteur, puis Carlos, notre bassiste
nous a rejoint. En fait on était en cours ensemble, je l’ai tout de
suite remarqué, à sa façon très particulière de s’habiller, j’ai pensé
qu’on aurait les mêmes goûts musicaux. C’est grâce à lui que je continuais
à aller à ce cours ! Je suis allé lui demander s’il voulait venir
jouer avec nous, je lui prêté ma basse, et il est devenu petit à petit
notre bassiste. Paul, notre chanteur, j’avais fait sa connaissance une
année plus tôt à Paris, une fois que tout marchait bien avec Carlos,
il est venu chanter et jouer de la guitare. Puis le premier batteur
s’est fait la malle, alors Sam, un vieux copain, est venu répéter avec
nous. Ca a immédiatement marché.
Comment
se sont déroulés vos premiers concerts, ce n’est trop difficile de jouer
dans les clubs new yorkais qui comptent et de se faire un nom ?
D: Il ne suffit pas d’être bon, il
faut également avoir un plan d’attaque. Certaines salles possèdent plus
de crédibilité que d’autres, nous savions exactement où nous voulions
jouer. On a commencé dans des petits clubs plutôt mauvais puis on a
progressé vers ceux qui nous intéressaient et les gens nous ont suivi.
C’est un travail de longue haleine, très difficile. Il faut être à moitié
musicien et à moitié business man.
Sam : Il faut vraiment en vouloir. Tu trouves tant d’excellents
groupes à New York que personne connaît. Ils jouent dans ces petits
clubs miteux devant une poignée d’habitués. Et
personne ne les remarque. Ils faut être persévérant pour se faire connaître,
cela semble cliché, mais la concurrence est rude.
D: On a maintenant des fans à New York et c’est grâce aux premières
parties que nous avons faites pour des groupes plus établis comme Mogwai,
Arab Strap, The Delgados. Cela nous a aidé à nous faire connaître.
Vous
avez joué au Bowery Ballroom, c’est une étape cruciale pour un groupe
new yorkais.
D: The Bowery Ballroom est probablement
la meilleure salle, elle a une capacité de 600 places, évidemment il
y a des salles bien plus grandes, mais celle-ci a réellement beaucoup,
beaucoup de charme. Située dans un quartier historique de la ville,
elle ressemble à un vieux théâtre.
S:
L’ambiance est magique. On se sent vraiment bien lorsqu’on est sur scène.
D: Cela ressemble un peu à La Cigale mais avec un côté moderne
en plus. Le son est incroyable. On a joué là-bas avec Mogwai, Arab Strap
et tout seuls.
Vous
avez sorti un premier ep sur le label Chemikal Underground, puis un
second le ‘Precipitate ep’ qui sonne plus produit.
D: Le premier, le Fukd ID#3 est sorti
il y a un an, en décembre 2000. Ce sont nos tous premiers enregistrements,
réalisés sur un 8-pistes, cela s’est déroulé très rapidement, et cela
reflète une époque un peu révolue. Puis on a enregistré le ‘Precipitate
ep’ sur un 24 pistes cette fois, il correspond beaucoup plus au son
et à l’esprit actuel du groupe. Enfin, nous sommes retournés en studio
récemment pour travailler les morceaux qui figureront sur notre premier
album. Après notre escapade parisienne, on rentre chez nous et on file
dans un studio du Connecticut pour commencer à l’enregistrer.
Avez
vous des pistes concernant une maison de disque ou un label pour le
distribuer ?
D: On a beaucoup d’idées, nous avons discuté avec plusieurs labels
mais rien n’est fait, je pense que d’ici la fin de l’année cela sera
résolu.
Et pourquoi
pas Rough Trade ?
D: Sans commentaire ! On est satisfait des labels que l’on
a contacté aussi bien aux Etats Unis qu’en Europe, nos artistes préférés
sont sur ces labels.
Mis
à part New York et la France, avez vous joué autre part ? En Angleterre ?
D: Interpol a fait un quelques dates en avril 2001 en Angleterre,
Glasgow, Manchester et Londres. C’était très rapide, on a aussi enregistré
une Peel Session et une autre pour X Fm, John Peel nous a soutenu, ce
qui était plutôt bien. On espère revenir jouer en Europe une fois que
l’album sera sorti, peut être autour du printemps 2002.
On
a tendance à vous comparer à Joy Division, qu’en pensez vous ?
Et plus globalement, vous avez des groupes qui vous ont marqués ?
S: Pour ce qui est des influences musicales,
cela dépend de chacun des membres du groupes, c’est très étendu et inattendu.
De My Bloody Valentine aux Beatles, en passant par Led Zeppelin.
D: Vous pourrez couper ça, si vous voulez, tu peux citer n’importe
quelle chanson de Led Zeppelin et Sam te joue la batterie à la perfection,
comme John Bonham. C’est carrément impressionnant. Si Sam n’était pas
dans Interpol, je lui dirais de partir en tournée dans un groupe de
reprises de Led Zeppelin. Pour ce qui est de la comparaison à Joy Division,
on ne peut être que flattés, mais ce n’est pas une influence directe
du groupe. J’aurais du mal à te citer mes influences, je ne sais jamais
quoi répondre à cette question…
S: Dan est un fan invétéré de Fugazi !
D: D’accord, j’écoutais beaucoup quand j’étais plus jeune…plus
trop maintenant. Je pense que les disques qui influencent le plus sont
ceux que l’on écoute quand on est jeune. Fugazi a été essentiel pour
moi, ce que j’aimais, en plus de leur musique, c’était leur démarche,
cette façon de trouver de nouvelles voies pour faire les choses. Je
ne pensais pas être capable d’écrire des chansons et un groupe comme
Fugazi m’a peut être aidé à penser que je pouvais trouver une sensibilité
pour composer. Dans ce sens, Fugazi est une influence.
Il y
a un instrumental sur le votre premier ep, êtes vous spécialement intéressés
par les instrumentaux ?
S: Non, c’est arrivé par hasard, c’est venu naturellement, on ne
s’est pas dit « Et tiens, si on écrivait un instrumental ».
D: Interpol ne compose pas de façon très classique, on ne décide
pas de faire une chanson qui sonne comme tel ou tel groupe. On essaie
des trucs, et si cela nous plaît on continue. Nous avons tous des personnalités
et des intérêts très différents, cela rend les choses d’autant plus
stimulantes et variées, on préfère expérimenter plutôt que s’enfermer
dans une routine couplet-refrain. Peut être que demain on sonnera complètement
différemment, qui sait ?
S: Préparez vous à notre prochain album country !
L’arrivée
en fanfare de The Strokes a attiré l’attention des médias sur les groupes
américains, les White Stripes, la scène de Detroit et d’autres groupes
de New York font beaucoup parler d’eux. Que pensez vos de ces groupes,
et de cet engouement soudain ?
D: C’est une très bonne chose. Ces
groupes The Strokes et White Stripes font de la bonne musique, des bons
concerts, c’est sûr que rien ni personne ne pouvait prévoir qu’ils allaient
devenir si connus aussi rapidement. Non seulement cela va ouvrir les
esprits musicalement, mais c’est très encourageant pour les jeunes groupes.
S: Le climat musical actuel est très rafraîchissant. Quelque
chose se passe enfin, autre chose que du Nu Métal. C’est du rock pur
et simple. Ce que j’aime beaucoup au sujet des White Stripes c’est qu’ils
sont honnêtes. Ils ne sont pas prétentieux, en T-shirt sur scène à jouer
du rock très pur.
D: Je crois qu’il y a une petite histoire de style là dessous…
Vous
voulez parler de quelque chose de spécial, un sujet que l’on a pas abordé… ?
Daniel : Donne moi un sujet et je peux en parler pendant des
jours…On aime beaucoup la France.
Sam : On a beaucoup aimé jouer à Saint Malo, les gens avaient
l’air d’apprécier et le montraient, ils avaient l’air de s’amuser, ils
sautaient comme de fous. A New York, le public t’interpelle ou crie
si il aime bien, mais jamais il ne bougera d’une patte. Les gens sont
un peu en représentation, ils doivent maintenir une certaine attitude
cool. Quand en Europe ou en France, les gens bougent, et manifestent
leur joie, il y a un véritable échange d’énergie, ça n’a pas de prix,
c’est vraiment très agréable. C’est pour cela qu’on est venu à Paris
uniquement pour 48 heures, pour ce concert.
Interview
réalisée avec François D. François, Merci encore !