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La Route du Rock #23

 
La Route du Rock de Martha Voyl

L’association Rock Tympans, organisatrice de la Route du Rock, peut se féliciter. Avant toute chose, pour la programmation de Junip, auteurs d’un concert magnifique de sobriété et de retenue. Par ailleurs, cette édition 2013 a vu la fréquentation doubler : 22 000 spectateurs, contre 13 000 l’an dernier. L’affiche était pourtant plutôt audacieuse : peu d’énormes têtes (outre Tame Impala) et pas de vieux de la vieille (outre Nick Cave). La prestation des premiers a partagé, certains évoquant une certaine uniformité lassante et d’autres (dont je suis) plutôt épatés par l’intelligibilité et le groove des Australiens, malgré les problèmes de son – manifestement, c’est derrière la table de mixage qu’on avait consommé le plus d’hallucinogènes. Le second a mis tout le monde d’accord avec un set fort (dans tous les sens du terme, ouch), où Cave est allé littéralement à la rencontre de son public, prédicateur vociférant, à la fois élégant et débraillé, comme un témoin de mariage qui aurait pété les plombs.

La Route du Rock est en partie un festival de fidèles, où l’on reconnaît beaucoup de têtes barbues d’une année à l’autre. Les petits nouveaux de cette année étaient d’autant plus identifiables qu’ils étaient tous lookés à peu près pareil. Ou plutôt, divisibles en deux grands types :

Soft : barbichette, lunettes Ray-Ban (ou, à défaut, les mignonnes lunettes de soleil orange distribuées à l’entrée par le partenaire radiophonique), coiffé-décoiffé, tee-shirt de loup ou de planète, ou à motif léopard. Venu voir Local Natives, et donc conquis par leur prestation souriante et pro (mais pas trop).

A fond : moustache, cheveux des années 1970, chemise hawaïenne, couleurs flashy, Levi’s brut. Pour les filles, souvent pas très à l’aise dans leur déguisement : short trop court, cheveux en pétard, Vans ou bottes de pêche old school, rouge à lèvres très rouge. Sac en toile format vinyle pour tout le monde. Venu voir Concrete Knives, et probablement déçu par ce groupe tout droit sorti d’un générique du club Dorothée. Sautillants et putassiers à souhait (allant jusqu’à reprendre Ini Kamoze pour être certains de fédérer un maximum de débiles mentaux), les jeunes Français arrivent presque à faire oublier les yeux infiniment tristes de la chanteuse, qui a du mal à cacher sa détresse au milieu d’une telle déferlante de bubble-gum.

Mais qu’ils s’inscrivent dans un type ou l’autre, il ne faut pas mépriser ces jeunes gens qui débarquaient cette année à St Malo, attirés par Hot Chip, Efterklang ou Allah-Las (tous trois également plats et pro – mais trop, eux). Il convient de les considérer comme un groupe folklorique, aux codes vestimentaires, verbaux et comportementaux très cadrés ; une tribu sociologique, probablement aussi rigolote vue de l’extérieur que l’étaient les porteurs de chemises à carreaux dans la génération précédente. A chaque époque ses hipsters. De ce point de vue, ce sera le passage précédent de !!! il y a quelques années qu’il faudra retenir, plutôt que celui de 2013.

Une différence notable avec les éditions précédentes est l’évolution des drogues. Signe d’un changement d’époque manifeste, la MDMA circulait d’autant plus que l’herbe se faisait discrètement ringarde. Mêlée à l’alcool, l’ecstasy a produit cette année une recrudescence de corps perdus, titubant à travers les énormes infrabasses de Disclosure ou Iceage, mauvais, et le krautrock impressionnant d’Electric Electric, Moon Duo, Parquet Courts ou Suuns.

Ces corps se retrouvaient parfois au milieu des stands tenus vaille que vaille par les labels et graphistes indépendants (Another Record, Les Disques Normals, Herzfeld, We are Unique, etc.), dans une transe de poussière (peu de pluie cette année) et de privations – malgré les éternels stands alimentaires, qui ont inspiré l’excellente formule « La Route du Wok » aux fameux Gérards. Après plusieurs années d’affichage sauvage de leurs étiquettes façon Brèves de comptoir, les Gérards se sont vus attribuer (récupérer ?) cette année un immense espace où l’on pouvait venir se photographier. Le costume était presque trop grand, à l’instar de celui de Woods, qui ont peut-être l’ambition de Neil mais sont encore un peu Young, ou de Widowspeak, Star prometteuse mais pas encore Mazzy.

Autre rendez-vous incontournable du festival breton, le tournoi de football a vu cette année l’équipe Pop is on fire (un nom qui aurait pu être un hommage aux flamboyants Jacco Gardner et Jackson Scott, très bons) détrôner celle des organisateurs, tenants du titre, après une victoire sur des contrefacteurs qui s’étaient baptisés La Blogothèque alors que seul deux d’entre eux avaient la panoplie adéquate (tee-shirt CCCP, lunettes rondes, barbe) et que le reste de l’équipe était constitué de petits blonds athlétiques certainement draftés dans le centre de formation local. Probablement pour être raccord avec Godspeed You! Black Emperor, grands usurpateurs de cette édition 2013 aux humbles oreilles de l’auteur de ces lignes. Inutilement fort, fortement inutile, le set des Canadiens était terrassant d’ennui.

En parallèle au tournoi de foot se déroulait une compétition de ballon prisonnier (curieusement affublé de son nom anglais, dodgeball) aussi bruyante, excentrique et formidablement inattendue que le concert de Bass Drum of Death.

Bilan : plein de nouvelles têtes, pas mal de bonne musique, quelques occasions de grincer les dents avec jubilation. Un bon cru.

par Martha Voyl

 


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