BEDHEAD
par Quentin
BEDHEAD,
Les
disques de Bedhead, réédités sur le label Touch
and Go l’an passé, bénéficient maintenant
d’un vraie distribution, assurée par Chronowax. Du coup, on comptera
bientôt plus de fans, plus de gens comblés : il n’existe
que peu d’amateurs de Bedhead, il existe essentiellement des fans absolus.
Car
Bedhead est un de ces groupes qui compte dans l’histoire de la musique
rock, que ce soit parce qu’il a initié le mouvement " slow-core "
ou parce qu’il a, volontairement ou pas, contribué à la
création et à l’émergence du post-rock.
Slow-core
et post-rock sont deux termes journalistiques bien ardus à définir :
ce sont deux musiques aux frontières floues, remplies d’espaces
inexplorés. Slow core renvoie littéralement à une
musique au noyau lent, c’est à dire une musique basée
sur sa lenteur même.
Façade
pour violon absent
Le groupe
est constitué autour des frères Kadane, Matt et Bubba
(qui, dès leur dix ans, écrivaient déjà
de la musique !). Ce qui les amuse, c’est de créer des
compositions lentes, tenant sur un seul souffle, et dont les infimes
variations sont des trésors d’innovation, d’émotion
et de luminosité.
Leur
démarche, lorsqu’ils créent Bedhead, est pourtant
de pallier à l’absence de violon, qui accompagnait les deux
frères dans leurs groupes précédents ; ils
décident de traiter leurs guitares en les caressant tel un
violon. (sans pour autant utiliser un archet)
Le nombre
de guitares est élevé (trois), et, à la sortie
du premier album (What fun life was, 1994), les critiques qualifient
cette musique de minimaliste. Les notes se font en effet rares, et
recèlent en elles un pouvoir attractif et charnel d’une grande
ampleur.
Glissades
pour auditeurs hypnotisés
Ce qui
désarçonne les critiques, ce sont aussi les embardées
guitare-basse-batterie qui se font en douceur, sans que l’auditeur
ne puisse s’apercevoir qu’il a été traîné
d’un chant susurré à des finaux instrumentaux hypnotiques.
Un slow-core
lo-fi lira-t-on à l’époque : un créneau
dans lequel Low s’engouffrera un an plus tard. Mais si Low
à une démarche mystique, Bedhead, lui, joue avant
tout pour se libérer des barrières musicales qui le
bloquent, pour créer des espaces sonores doux mais chaotiques,
sans pour autant laisser gronder des guitares insensibles et lourdes.
" Powder "
et " The Impredicable landlord " malmènent
le public et la presse en lui offrant la possibilité d’écouter
quelque chose de terriblement neuf. On ne peut pas alors parlé
d’un post rock tel qu’imaginé par Slint, mais d’un post
rock plus en retenu, plus spirituel, réfléchi. Pourquoi
post-rock : parce qu’on avance ici d’un grand pas, parce que
les fonctions premières de la guitares sont reniées,
parce qu’on prône ici une abstraction infinie et forcément
subjective.
Bis
Repetita
D’ailleurs,
quand sort Beheaded (Etêté : jeu de mot sur
le nom du groupe), en 1996, on constate la volonté des
Texans d’explorer toujours leur même modèle. La pochette
ressemble à celle du premier album : elle est quasiment
toute blanche. On lit le titre et le nom du groupe.
En narrant
les difficultés rencontrées dans leur quotidien intime,
(" The Rest of the day "), la voix de Matt
Kadane nous prépare donc à ces envolées dont
le groupe a le secret, envolées parfois simplement suggérées,
ou étouffées dans l’œuf. Le " son "
Bedhead prend réellement forme ici ; la formule
de What fun life was a beau être répétée,
chaque titre (basée sur le type lenteur-chant-lenteur-envolée)
apparaît comme unique, vitale et prépondérant.
Beheaded
est assurément un chef d’œuvre, mais le disque reste relativement
souterrain. En France, ce sont des initiés qui commandent les
disques en Import. Un chef d’œuvre, parce que ce disque marque son
époque tout en étant indémodable, parce qu’on
ne voit pas comment faire mieux dans ce style musical.
Des
guitares qui parlent
Les reproches
faits au groupe s’attaquent au chant, qui laisse des indifférents,
et à la lenteur. De cette lenteur le groupe n’a pas voulu extraire
de la tristesse, ni du désarroi ou de la nonchalance. Au contraire,
Bedhead s’éprend à nous narrer une vie tourmentée
avec le plus de justesse possible, sans nous demander de compatir.
Même
en 2002, les mélodies sonnent toujours aussi neuves, les guitares
semblent douées de la parole.
C’est
en 1998 que sort " Transaction de Novo ", un album
presque posthume, puisque le groupe se séparera six mois plus
tard.
En proie
à une sorte d’inertie, due à la distance qui sépare
les cinq membres du groupe, Bedhead manque parfois d’inspiration sur
ce troisième LP. Pourtant, des morceaux résonnent parmis
les tout meilleurs du groupe : Exhume (et sa sépulcrale
intro), Lepidoptera…
Aveu
La léthargie
mélodique ne rime pas avec immobilisme. Bedhead revient dans
ce velours qui est le sien, avec plus de pessimisme, avec plus d’idées
morbides. Et puis on note ici ou là des aveux d’impuissance.
"the
ways we’ve sort to get this far
are as dead as we are.
But I won’t change it and neither will you
What seemed appropriate now seems the wrong thing to do"
(More than ever)
Après
une tournée en forme d’adieu, le groupe se sépare:
" Nous
sommes encore des amis – l’amitié n’a rien avoir avec ça.
Mais nous ne pouvons plus assumer la distance qui nous sépare
(5 membres dispatchés sur trois pays différents)(…).
C’est presque impossible d’apprendre des nouveaux morceaux, et on
ne veut pas jouer dans un groupe en mémoire à ce qu’a
été Bedhead. "(Matt)
The
present is the future
Dès
cette annonce, en Août 1998, on se met à mieux apprivoiser
l’album. " Bedhead is dead " lit-on dans les revus
spécialisées, mais " leurs disques les survivront
sûrement ". The Present, dernier titre de l’album,
reste figé en l’air, à jamais. Les sept minutes de ce
titre resteront gravées dans les mémoires, parce qu’elles
illustrent l’atemporalité musicale recherchée par ces
jumeaux génies. Ce titre résume Bedhead, fort d’une
intro de plus de quatre minutes en forme de marche mortuaire.
A l’intérieur
du livret du premier album, on pouvait voir les instruments du groupe,
laissées à l’abandon. Ça, c’est Bedhead :
les instruments qui prennent vie seuls, qui dansent, souffrent, sourient,
trébuchent puis s’endorment.
Discographie
Mai
1992 Bedside Table / Living Well 7" (Direct Hit Records)
Decembre
1993 The rest of the day / I’m not here 7" (Direct Hit Records)
4 avril
1994 What fun life was (Trance Syndicate Records) 25
octobre 1994, 4 Song EP 19:10 (Trance Syndicate Records)
20
février 1996, The Dark Ages EP (Trance Syndicate Records)
18
juin 1996, Beheaded (Trance Syndicate Records) 10
février 1998, Transaction de Novo (Trance Syndicate Records)
20
octobre 1998, Lepidoptera / Leper 10" (Trance Syndicate Records)
et
aussi
Bedhead
loves Macha, Macha loves Bedhead (2000). Mini album sorti
en 2000. Les frères Kadane reprennent exceptionnellement leur
nom de Bedhead pour collaborer avec un groupe ami : Macha.
A noter
une reprise géniale de Believe de Cher.
The
New Year, Newness Ends (2001) Nouveau projet des
Kadane, plus rock, mais on retrouve cette voix unique. Un de mes disques
préférés de l’an passé.
The
New Year,
The end is near (2003).
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